De l'usage du nom yuri

Le genre centré sur des relations saphiques est nommé « yuri », ou plus rarement « girls' love ».

Il est généralement considéré que ce nom de « yuri » s'impose au début des années 2000, avec la création du magazine Yuri shimai (百合姉妹) en 2003, puis qu'il est définitivement confirmé avec le Yuri hime (コミック百合姫) en 2005. Erica Friedman présente ce nom comme une volonté d'ancrer le genre dans une tradition lesbienne.

Couverture du magazine Comic Yuri hime. Numéro de juin 2006.

Ce choix serait aussi une manière d'aller à l'encontre des éditeurs, qui eux poussent pour le nom de girls' love. Friedman explique dans un autre texte qu'avant le début des années 2000, les manga saphiques constituent un « genre avec des tropes, mais sans nom » (Friedman, 2022, p.54). Que tout au plus ce type de manga était qualifié par des expressions comme « femme-femme » (女x女) ou « entre femmes » (女同士).

Le mot « yuri » existait bien, mais avait une certaine connotation.

Yurizoku

En effet le lien est fait avec la notion de yurizoku (百合族, la tribu des lys), pour nommer les femmes lesbiennes. Cette notion est semble-t-il apparue en 1976 dans le magazine gay Barazoku (薔薇族, 1971-2008). Rapidement ce terme est toutefois reprit par la pornographie masculine, et bon nombre de femmes lesbiennes abandonnent son usage (Maser, 2015, p.20).

Par exemple on retrouve cette étiquette dans la trilogie de films érotiques Yurizoku (1983-1984), ou dans l'anthologie de manga érotiques Love yuri-gumi (Loveゆり組, 1991-2002).

Fait intéressant cependant, dans le courrier des lecteurices de cette anthologie, il semblerait que certaines femmes lesbiennes s'y décrivent comme yuri. Du moins si ces courriers ne sont pas une fabrication éditoriale.

Il manque toutefois un jalon (voire plusieurs) pour passer de cet usage par la pornographie des années 80-90 d'une part, et par l'utilisation dans la scène du yuri manga commercial des années 2000 d'autre part.

La scène dōjinshi

Couverture du livre Chocolate Terrorist.

J'ai réussi à mettre la main sur Chocolate Terrorist (チョコレート・てろりすと, 2008), un obscur dōjinshi dédié à l'étude du yuri.

À l'intérieur se trouve un texte de Meimy Inoue (井上メイミー), célèbre éditrice en chef du magazine Carmilla (カーミラ, 2002-2005), qui a marqué la scène lesbienne des années 2000. Elle y raconte sa relation compliquée avec le yuri manga.

Notamment elle explique qu'au collège (circa 1988~1990) elle découvre un genre de manga qu'elle nomme aoi (あおい). Un genre centré sur les relations intimes entre femmes : un très exact équivalent féminin au yaoi, le nom donné au boys' love sur la scène dōjinshi de l'époque.

D'ailleurs, si le mot yaoi est un acronyme, est-ce aussi le cas du mot aoi ?

Bien qu'il existe quelques cercles dédiés au aoi, le genre est peu populaire : la plupart sont des histoires courtes, généralement publiées à l'intérieur d'anthologies dédiées au yaoi. Inoue explique ainsi que son premier aoi, qui met en couple les deux membres du groupe d'idoles WINK, se trouvait à l'intérieur d'une anthologie yaoi qui parodie l'anime Samurai Troopers (鎧伝サムライトルーパー, 1988-1989).

Malheureusement elle ne nomme pas l'anthologie, même si j'ai une ou deux pistes. Note à moi-même : essayer de se procurer les dōjinshi de Miyuki Tamura (田村みゆき) sur Samurai Troopers et sur Sailor Moon.

Puis, vers les années 1991~1993, c'est le mot yuri qui commence à se généraliser sur la scène dōjinshi. Il remplace définitivement aoi. En effet selon le texte d'Inoue, lorsque Kiriko Nananan publie Color Color (un yuri manga) dans le Garo fin 1993, le nom yuri est déjà bien établi.

On peut facilement en déduire que yuri et aoi étaient en concurrence, et que l'usage du premier par la pornographie et toujours par certaines femmes lesbiennes, lui a permis de s'imposer sur le second. Existait-il d'autres mots concurrents ? Et à quel point aoi était-il répandu ? Le texte d'Inoue est la seule occurrence que j'ai pour le moment trouvé…

Quel que soit son nom, le genre reste cependant confidentiel. Il commence à se populariser avec l'adaptation en anime de Sailor Moon (美少女戦士セーラームーン, 1992-1997), puis avec l'anime Utena (少女革命ウテナ, 1997) et enfin le roman Maria-sama ga miteru (マリア様がみてる, 1998-2012).

Couverture du livre Casablanca teikoku.

C'est d'ailleurs à cette période que le terme yuri commence à être utilisé par les œuvres commerciales. Par exemple avec Casablanca (カザブランカ, 1998-2000), une « anthologie de nouvelles yuri » publiée par East Press.

Girls' Love

Pour revenir à ce qu'explique Friedman, les éditeurs des années 2000 semblent préférer utiliser le terme girls' love, là où les autrices, qui viennent majoritairement du monde du dōjinshi préfèrent le terme yuri.

Aux yeux des éditeurs, girls' love possède un avantage commercial indéniable : être un miroir à boys' love, utilisé depuis le début des années 1990 pour nommer les œuvres dédiées aux relations entre hommes.

Pourtant, il me semble que le terme girls' love possède à cette époque un handicap de taille. Car de 2005 à 2011 un magazine notable utilise déjà l'expression girls' love, à savoir le Muteki ren'ai S*Girl (無敵恋愛S・girl, 2005-2024). Oui, l'un des principaux magazines de la scène teens' love.

Couverture du Muteki ren'ai S Girl, numéro de février 2006.

Il semblerait en effet que le terme teens' love ait lui aussi mis pas mal de temps à s'imposer. Mais c'est une autre histoire. • ° ✧

Bibliographie

Rédigé le 2025-09-29. Dernière mise à jour le 2025-09-30.